« Personne ne savait
rien de moi ; la seule explication, c’est que les enfants
se sont passé le mot » – J.K. Rowling.
La semaine prochaine,
enfants et adultes du monde entier vont enfin pouvoir acheter le
livre qu’ils attendent depuis 3 ans : « Harry Potter
et l’Ordre du Phénix ».
Ce cinquième
tome de la série Harry Potter dépassera sans doute
toutes sortes de records de publication. Aujourd’hui, 8.5
millions d’exemplaires ont été imprimés,
juste pour le marché américain.
60 Minutes vous a fait
rencontrer pour la première fois J.K. Rowling, la créatrice
de Harry Potter, il y a 4 ans. Et à cette époque,
elle commençait tout juste à réaliser le phénomène
qu’elle avait lancé.
Notre correspondant
Lesley Stahl a interviewé Mme Rowling dans une émission
diffusée pour la première fois le 3 octobre 2002.
Quand nous vous avons
fait découvrir Harry Potter il y a quelques années,
plus d’une personne ont répondu « Harry qui »
?
Aujourd’hui, il
existe peut-être encore une personne quelque part qui ne le
connaît pas, mais on ne l’a pas encore trouvée.
Harry Potter est le
sorcier des romans les plus connus de la planète –
4 pour le moment, plus 3 autres tomes à venir. Il est aussi
la star de deux films à succès.
Dans le monde des livres
pour enfants, ou dans tout autre genre de livre, rien n’a
jamais atteint la grandeur du phénomène Harry Potter.
Mais quand nous avons
présenté pour la première fois à nos
lecteurs Joanne Rowling, la créatrice de Harry, le troisième
tome allait paraître et elle commençait tout juste
à réaliser l’ampleur de son succès.
Joanne Rowling, 36 ans,
actuellement l’auteur la plus connue au monde, vit et écrit
dans l’ombre du château d’Edimbourg, en Écosse.
« La base de l’histoire
est qu'Harry n’est pas seulement un sorcier, mais un sorcier
très connu, ce qu’il ne découvre qu’à
11 ans », explique Rowling.
« Il découvre
pourquoi il a cette cicatrice en forme d’éclair sur
son front. Il découvre que ses parents ont été
tués, et ce qu’il est supposé faire à
ce sujet, et aussi qu’il est censé affronter la personne
qui les a tués. »
Harry Potter est une
bonne vieille histoire sur la victoire du bien contre le mal, pleine
de rebonds et surprises : des garçons volant sur des balais,
des chouettes qui délivrent le courrier. Elle se passe dans
une école britannique réservée aux jeunes sorciers,
nommée Poudlard.
Il y a des milliers
de noms amusants comme : Professeur Dumbledore, le Seigneur des
Ténèbres Voldemort, et l’amie de Harry, Mademoiselle-je-sais-tout,
Hermione. Il est clair que Joanne Rowling est née pour jouer
avec les mots.
« J’ai pris l’habitude de collectionner les noms
de plantes à consonances magiques et ensuite, j’ai
trouvé cet ‘herbier complet de Culpeper’ (1),
et ça a été la réponse à tous
mes vœux : herbe de lin, linaire, herbe à puces, herbe
aux goutteux, grommel, herbe aux noueux, armoise.»
Harry Potter est né
de l’imagination de Rowling, il y a environ 10 ans. Elle dit
qu’elle a commencé en dessinant des images des personnages.
Les dessins, qu’elle
a déjà pensé à utiliser dans les livres,
sont étonnamment précis : Harry, son horrible cousin
Dudley, la salle des potions magiques de Poudlard, le professeur
McGonagall.
Ces images ont été
transformées en mots vivants qui maintenant, captivent tant
d’enfants. « Le professeur McGonagall les regarda métamorphoser
une souris en tabatière. Des points furent attribués
aux plus belles tabatières, mais retirés lorsqu’il
leur restait des moustaches. »
« J’ai rencontré
un mère lors d’une séance de dédicaces,
il y a peu et elle m’a dit : ‘oh, et mon fils est ici,
il veut vous rencontrer, mais il a trop honte de l’état
de son livre pour vous demander de le signer’ », se
souvient Rowling.
« Et le livre
était tout plié, et couvert de traces sales, et la
couverture se détachait. J’ai dit à la mère
d’aller chercher son fils, parce que c’était
exactement l’état dans lequel je veux voir les livres
que j’écris. Je ne me sens aucun point commun avec
ces gens qui ne cassent pas la tranche du livre quand ils le lisent,
vous savez, ces gens très coincés. Je dis, cassez
la tranche du livre et lisez-le, parce que c’est pour ça
qu’il est fait. »
Harry Potter a fait
de Rowling un personnage public en des proportions historiques.
« C’est
sans précédent dans l’histoire des livres pour
enfants en Amérique. C’est sans précédent
dans l’histoire des livres pour enfants en Angleterre »,
déclare Eden Ross Lipson, éditeur de livres pour enfants
du New York Times. « Il n’y a rien de comparable au
succès fulgurant d’Harry Potter. »
Ce qui rend le succès
de Rowling plus remarquable que tout, c’est ce qui suit. En
1994, quand son mariage avec un journaliste portugais s’est
brisé, elle s’est installée à Edimbourg,
en Ecosse. Elle avait peu d’amis et encore moins de projets,
et elle a fini par vivre des aides sociales, évitant parfois
de manger pour être certaine d’avoir assez d’argent
pour son bébé de 4 mois.
Et même si elle
se sentait l’âme d’un écrivain, elle n’avait
jamais publié quoi que ce soit.
« Quelqu’un,
un journaliste, me disait en fait l’autre jour, ‘alors,
vous avez écrit tout votre premier roman sur des serviettes,
des serviettes en papier.’ », dit Rowling. « Non,
je n’ai pas écrit sur des serviettes. Je pouvais m’offrir
des stylos et du papier, oui. »
Mais elle vivait des
aides sociales, et dans une situation délicate. « J’étais
dans une situation plus désespérée que jamais
», dit-elle.
En même temps,
elle jouait avec l’idée d’Harry Potter, et elle
dit qu’elle a toujours écrit, même lorsqu’elle
elle était petite fille et qu’elle grandissait au sud
de l’Angleterre. Même lorsqu’elle travaillait
comme enseignante, elle devait juste compter son temps.
Elle a montré
à 60 Minutes une photocopie d’un livre, quand elle
enseignait au Portugal, couvert de notes. « C’était
ce que j’étais supposée faire avec les enfants,
et au dos, vous avez tous les fantômes de Gryffondor »
Gryffondor est l’une
des maisons de Poudlard. Et tout ce qui était griffonné
au hasard faisait en réalité partie d’un plan
plus général. Bien avant qu’elle ne publie,
Rowling avait déjà méticuleusement tracé
la grille des sept tomes d’Harry Potter, un tome par année
que Harry passerait à l’école de sorcellerie.
Mais avant de supposer
qu’elle est organisée de façon quasi-compulsive,
vous devez savoir que son système de classement consiste
en une multitudes de boites dans sa chambre.
C’est une chose
d’avoir des boites remplies de notes, c’en est une autre
d’en faire des livres.
Retour en 1994, avec sa petite fille et sans argent, Rowling savait
qu’elle devait l’écrire rapidement, ou faire
une croix dessus.
« J’ai décidé
de tenter une ultime fois de faire publier ce livre. Et j’ai
donc arpenté Edimbourg, en promenant mon bébé
dans sa poussette, jusqu’à ce qu’elle s’endorme.
Et là, j’ai littéralement couru jusqu’au
café le plus proche, et j’ai écrit jusqu’à
ce qu’elle se réveille. »
La plupart du temps
elle écrivait au Nicholson’s Restaurant, où
ils la laissaient rester des heures même si elle ne prenait
qu’une tasse de café. Enfin, elle eut un manuscrit
à envoyer – juste pour le voir refusé.
“Je crois que quatre ou cinq éditeurs l’ont rejeté,
sous le prétexte, toujours le même, que c’était
beaucoup trop long pour des enfants”, raconte Rowling, qui
se mit alors à chercher un agent littéraire dans l’annuaire.
Elle tomba sur le nom de Christopher Little.
“Ces choses-là
peuvent rester des années dans la même pile. Personne
n’en veut et en général, vous savez, même
publiées on ne les achète pas", se souvient Little.
"Et complètement par hasard, deux jours plus tard j’ai
emporté cette pile à un déjeuner parce que
la personne que j’attendais était en retard. Dans cette
pile, j’ai donc commencé à lire les aventures
de Harry Potter et ça m’a fait comme des papillons
dans l’estomac.”
A l’en croire, il savait que ce serait un succès. Et
pourtant, de nombreux autres éditeurs refusèrent Harry
Potter, jusqu’à ce que l’entreprise britannique
Bloomsbury l’achète enfin.
“Le moment où
il m’a dit que Bloomsbury acceptait de prendre le livre a
été le plus heureux de ma vie, juste derrière
la naissance de ma fille”, dit Rowling, qui s’est aperçue
qu’il ne s’agissait pas d’un livre pour enfants
ordinaire lorsque les ventes se sont mises à grimper régulièrement
sans aucune publicité. “Personne ne savait rien de
moi ; la seule explication, c’est que les enfants se sont
passé le mot”.
“Comme ils le
font souvent, les éditeurs n’ont publié qu’un
petit nombre d’exemplaires du livre, et la demande est bel
et bien venue des cours de récréation”, ajoute
Little.
Les enfants de Stamford,
dans le Connecticut, sont les fans typiques qui ont créé
l’avalanche Potter.
“C’est très
différent. Ce n’est pas comme un livre normal”,
explique R.J. “C’est tellement imaginatif. C’est
si détaillé que c’est presque comme si on regardait
le livre au lieu de le lire”.
“Elle sait comment
rendre les choses à la fois drôles et mystérieuses”,
ajoute Lauren.
C’est ce qui a
détourné les enfants des écrans de leur télé
ou de leurs jeux vidéo. Et ce n’est pas seulement les
enfants, les adultes aussi aiment Harry Potter. En Grande-Bretagne
il existe même une édition spéciale, une édition
adulte rien que pour eux. Tout le monde est attiré par la
même chose : l’aventure et le suspense dans un monde
de sorciers, un monde magique et pourtant vaguement familier.
“Elle a créé
cet univers parallèle, juste un peu décalé,
avec sa propre banque, son propre journal, son propre ministère,
le ministère de la magie”, dit Lipson. “Il n’y
manque rien. Et c’est grâce à ça qu’elle
peut continuer à sortir des lapins de son chapeau”.
Le seul fait qu’à
la fois les garcons et les filles s’y intéressent suffit
à classer Harry Potter à part. En fait, l’éditeur
de Rowling, au début, a essayé de cacher le fait qu’elle
était une femme en utilisant ses initiales, J.K., sur la
couverture des livres.
“En général,
les garcons ne lisent pas de livres écrits par des femmes”,
explique Little. “Pour les filles, peu importe qui a écrit
le livre qu’elles lisent, mais les garçons ont cette
espèce de préjugé sexiste bizarre”.
A présent, des
enfants qui n’aiment pas lire ou n’avaient jamais lu
auparavant s’arrachent les livres de Rowling ; ils les lisent
et veulent en savoir plus.
“Il n’y
a rien de meilleur”, dit Rowling. “J’ai rencontré
les mamans de deux garçons dyslexiques, et elles m’ont
confié que leurs fils avaient lu les livres tout seuls…
Cela me conforte dans l’idée que les enfants sont très
souvent sous-estimés”.
Rowling aimerait beaucoup
qu’on la laisse tranquille à terminer d’écrire
sa saga sur le coin d’une table dans un café d’Edimbourg,
mais elle est tellement célèbre à présent
que c’est de plus en plus difficile. Elle subit également
beaucoup de pression de la part de ceux qui veulent transformer
Harry Potter en un produit marketing.
“Nous recevons
plus d’une centaine de propositions par jour, que ce soit
de la part de Sony, de Microsoft ou de Boeing, ou de la part de
gens qui fabriquent des tasses et des soucoupes”, dit Little.
“Si les gens pouvaient
voir le genre de demandes que j’ai reçues pour utiliser
Harry dans des publicités et dans toutes sortes de choses
franchement ridicules”, ajoute Rowling. “Je les ai absolument
toutes refusées”.
Mais Rowling n’est
plus désormais l’unique propriétaire de Harry.
Elle a vendu à Warner Bros. le droit de le porter à
l’écran, et tout ce qui va avec.
Le film “Harry
Potter à l’école des sorciers”, sorti
pendant les vacances, a été le plus gros succès
de 2001.
Quant à Rowling,
elle travaille toujours sur le cinquième tome, et elle s’est
mariée récemment… non, pas avec un sorcier ;
avec un médecin écossais.
(1) Il s’agit
d’un guide d'herboristerie publié en Angleterre par
Nicholas Culpeper en 1653 (NDT)
Article traduit par Luludivine,
Zarbeth et Hedwige.
Version originale en anglais disponible sur le site d' Accio
Quote.
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